Dans notre article « Dépassez la RSE, devenez une entreprise régénérative« , nous vous expliquions ce qu’est une entreprise régénérative, ou régénératrice, et pourquoi il fallait dépasser la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) et le devenir car c’est nécessaire face à la crise écologique mais aussi car c’est une démarche génératrice de valeur pour les entreprises et aux nombreux avantages. Pour compléter, vous trouverez ici une explication détaillée des 17 principes de l’entreprise régénérative identifiés par Christophe Sempels et Bertrand Thuillier de Lumia. 

modèle régénératif

La crise écologique et sociale que nous vivons nous pousse à considérer les 4 enjeux cruciaux suivant : 

– Le climat et la décarbonation des chaînes de valeur 

– La restauration de la biodiversité 

– La circularisation forte des ressources non renouvelables 

– Le respect des droits humains et la création d’emplois porteurs de sens et de dignité. 

Face à ces enjeux, toute entreprise peut incarner l’ambition de la régénération en respectant les principes détaillés ici et issus de l’article “Qu’est-ce qu’une entreprise régénérative ?”, même s’il faut garder en tête que c’est un objectif collectif qu’on ne pourra atteindre que tous ensemble. 

Christophe Sempels et Bertrand Thuillier ont identifié 17 principes, répartis en 3 macro-principes : 

Approche systémique visant une valeur étendue partagée

RSE
  • Principe n°1 : adopter un fonctionnement systémique, interconnecté, interdépendant et construit sur des états d’équilibre dynamique 

Pour faire simple, l’entreprise doit adopter une vision systémique, calquée sur le fonctionnement de notre monde, qui est un système complexe formé de nombreux sous-systèmes eux aussi complexes. Et toutes les composantes de notre monde interagissent entre elles, plus ou moins fortement et selon des équilibres qui ne sont jamais figés.  

Nous ne pouvons plus fonctionner selon des modèles économiques qui simplifient à outrance ce système complexe dans lequel nous évoluons et qui nous ont fait omettre pendant trop longtemps de nombreux paramètres au profit de la croissance et de l’enrichissement des actionnaires.  

L’entreprise ne doit plus seulement se concentrer sur sa propre croissance mais elle doit se penser comme partie d’un système global. Les préoccupations de chaque entreprise doivent donc considérablement s’élargir à des questions qui ne concernent pas seulement son développement et son profit. Cette prise de recul nécessaire peut aussi être libératrice pour les entreprises et leurs parties prenantes : elle ouvrira de nombreuses possibilités de coopération et d’innovation. 

  • Principe n°2 : créer de la valeur non exclusivement pour ses client.e.s ou ses actionnaires, mais pour un réseau plus vaste de parties prenantes et pour les écosystèmes

C’est un principe général : non seulement l’entreprise ne doit plus avoir d’impact négatif à la fois sur l’environnement et la société, mais elle doit maintenant parvenir à contribuer positivement à la survie et au bien-être des écosystèmes en s’impliquant davantage pour plus de justice sociale et d’inclusion. Il s’agit de créer une valeur étendue positive nette pour les parties prenantes, les écosystèmes et la société en général. 

  • Principe n°3 : être en expérimentation constante en s’appuyant sur le hasard et l’inattendu 

Ce principe vient encore une fois affirmer que l’entreprise doit se calquer sur le vivant. Celui-ci privilégie la robustesse et la résilience à la performance et doit sans cesse s’adapter aux évolutions de son environnement. Il est en mouvement constant, et ne cherche pas à contrôler ou exploiter son environnement mais plutôt à co-évoluer avec lui en expérimentant des stratégies d’adaptation. L’entreprise doit faire pareil. 

Les entreprises, comme le reste des entités qui composent notre monde, font face aujourd’hui à une crise inédite. Il leur faut donc expérimenter des stratégies d’adaptation, comme celle de se diriger vers un modèle économique régénératif, en coopération avec les autres acteur.rice.s des sociétés, comme le vivant le ferait. Pour résoudre cette crise inédite, il n’existe pas de réponse simple, il faudra expérimenter constamment, sans s’enfermer trop fortement dans une planification.  

Par exemple, l’entreprise souhaitant devenir régénérative peut expérimenter par projet la mise en place des différents principes énoncés ici, en restant vigilante aux effets que cela génère et aux moyens que cela libère, dans une logique d’apprentissage. 

Il faudra passer d’un raisonnement causal (chercher le moyen le moins cher, le plus rapide, le plus efficace… d’atteindre un but préalablement défini) à un raisonnement effectual (partir des moyens à disposition pour déterminer les effets qu’ils permettent d’atteindre, ce qui laisse le champ ouvert). 

  • Principe n°4 : être capable de tirer parti de l’immatériel pour valoriser ses effets utiles 

L’entreprise doit être à l’écoute active de son environnement et de ses parties prenantes. Elle capte donc ainsi de nombreuses ressources immatérielles à forte valeur ajoutée, qu’elle peut valoriser et ainsi générer un effet utile. L’effet sera utile soit parce qu’il apportera une valeur supplémentaire aux parties prenantes, soit parce qu’il permettra de mieux gérer une externalité ou de prendre en charge des nouvelles problématiques. 

  • Principe n°5 : garantir un revenu décent et un partage de la valeur entre ses parties prenantes et pour l’intérêt général

Il s’agit ici de redistribuer les richesses équitablement, pour plus de justice sociale. L’entreprise a un rôle social crucial et elle doit prendre conscience qu’elle peut être un acteur fondamental du bien-être social si elle adopte une meilleure gouvernance et accorde une importance capitale au partage de la valeur. 

Concrètement, l’entreprise doit chercher à rémunérer de manière juste les contributeur.rice.s. Pour reprendre l’explication de Christophe Sempels et Bertrand Thuillier, il s’agit de rechercher une équité dans le partage de la valeur en interne et, dès que possible, auprès de l’ensemble des parties prenantes impliquées dans le processus de création de valeur, selon des critères transparents et coconstruits. La valeur monétaire est donc répartie entre les acteurs économiques par choix de gouvernance et non par les seules lois du marché. Ce qui implique entre autres le consentement à payer l’impôt et la lutte contre l’évasion fiscale. 

Aussi, les profits doivent être redirigés. Les bénéfices sont prioritairement réinvestis dans l’entreprise afin d’accélérer la redirection écologique et sociale des activités. Ce qui nécessite une politique équilibrée pour la distribution des dividendes et les obligations de profitabilité. Il devient pertinent de redistribuer une partie significative des dividendes pour soutenir la régénération des ressources dont dépendent les parties prenantes de l’entreprise et contribuer à des causes d’intérêt général. 

  • Principe n°6 : être capable de se limiter pour la pérennité de l’écosystème ou de l’espèce

Ce principe est issu de l’expression aujourd’hui bien connue : “pas de croissance infinie dans un monde fini”. Le vivant ne croît pas de manière indéfinie, alors l’entreprise ne peut pas non plus croître de manière indéfinie et doit sortir de cette logique volumique à visée de croissance.  

Il est par exemple pertinent de se demander si le déploiement à l’international est adapté aux nouveaux enjeux de l’entreprise dans ce contexte ou si l’intensification des coopérations locales n’est pas un axe économiquement plus efficace et pérenne… 

 

Conception et design bio-inspiré

entreprise régénérative
  • Principe n°7 : être circulaire par conception

L’entreprise ne doit pas produire de déchets, mais uniquement des ressources qui pourront être valorisées. La pensée circulaire va au-delà de l’éco-conception et du recyclage. Tout sur Terre fonctionne en cycle. À l’exception des Hommes et de leurs activités, rien ne produit de déchets mais seulement des ressources. L’entreprise aussi doit tendre vers cette circularité.

  • Principe n°8 : être sobre dans la satisfaction de ses besoins, multifonctionnelle et ancrée dans le local sur la mobilisation de ressources et d’énergie de flux

L’entreprise doit rechercher la sobriété pour satisfaire ses besoins. La recherche de sobriété s’inscrit dans une démarche d’efficience et donc de gain de productivité et d’économie. Économiquement pertinente, cette démarche réduit aussi la dépendance de l’entreprise aux ressources externes… Le vivant n’utilise que ce dont il a besoin pour faire ce qu’il a à faire. Il ne stocke pas déraisonnablement et ne s’appuie que sur les ressources qui lui sont localement disponibles. L’entreprise, en s’inscrivant dans cette démarche, renforce sa capacité de résilience. 

  • Principe n°9 : chercher un équilibre entre performance et robustesse

La fréquence des crises de grande ampleur va s’accroître dans les années à venir et les entreprises doivent mieux s’y préparer et les gérer. Cela doit devenir une priorité puisque leur robustesse va devenir une condition de leur performance. 

“Le vivant ne joue pas de l’optimisation, il opère au contraire sur des équilibres dynamiques construits sur des trajectoires viables dans un ensemble de contraintes plurielles” : il ne faut pas seulement performer, mais poursuivre une trajectoire viable qui respecte l’ensemble des contraintes de l’environnement à long terme.  

  • Principe n°10 : renforcer les services écosystémiques de soutien et de régulation 

Les services écosystémiques de soutien sont des services nécessaires à la production des autres services, c’est-à-dire qui créent les conditions de base au développement de la vie sur Terre. Ils diffèrent des 3 autres catégories de services, en ce sens qu’ils n’ont pas d’impact direct sur l’Homme ou que ces impacts n’apparaissent qu’à long terme.  

Par exemple, le cycle de l’eau, le cycle de la matière et la conservation de la biodiversité font partie des services de soutien/support. 

Les services de régulation sont les services qui rendent la vie possible pour l’humanité. Les plantes nettoient l’air et filtrent l’eau, les bactéries décomposent les déchets, les abeilles pollinisent les fleurs et les racines d’arbres maintiennent les sols en place. Tous ces processus fonctionnent ensemble pour rendre les écosystèmes propres, durables, fonctionnels et résilients face aux changements.  

Tous ces services sont fortement dégradés par l’activité humaine depuis la Révolution industrielle et les entreprises doivent prendre leur responsabilité et faire en sorte de les renforcer.

Ces services écosystémiques ont une valeur pour l’Homme, notre Société et nos entreprises. S’intéresser à ces services et leur valeur et préserver ces écosystèmes est aussi source d’innovation et d’opportunité pour nos entreprises (sans rentrer dans une démarche de monétisation de la nature). 

  • Principe n°11 : utiliser des atomes simples et des molécules bio-assimilables que l’entreprise combine de manière créative et diversifiée  

L’assimilation, en biologie, désigne le processus par lequel des substances et des matériaux extérieurs au corps sont transformés en substances et matériaux intérieurs au corps. L’entreprise doit s’appuyer sur les principes de la chimie verte, ou chimie naturelle, éviter de produire des déchets et, si possible, produire des molécules bio-assimilables et non-toxiques pour l’Homme et l’environnement. 

L’entreprise doit donc mettre en œuvre des processus biologiques en lieu et place de processus physico-chimiques et réaliser les étapes de transformation des produits dans des conditions de pression et de température ambiantes pour réduire l’utilisation d’énergie. En bref, elle doit utiliser les capacités du vivant pour répondre à ses enjeux de production 

Nourrir les coopérations et les relations

économie régénérative
  • Principe n°12 : créer des relations vivifiantes, renforcer le lien social, l’inclusivité et le respect entre tous.tes 

Les relations entre parties prenantes dans une entreprise classique peuvent être limitantes ou plombantes. L’entreprise régénérative régénère aussi les écosystèmes humains, et en premier ses parties prenantes. Elle doit donc désormais veiller à créer les conditions propices à la création de relations vivifiantes permettant à tous.tes de se réaliser. 

  • Principe n°13 : se fonder sur des relations de coopération dont l’entreprise bénéficie et qu’elle récompense en pariant sur le collectif et la diversité 

L’entreprise faisant partie d’un système qui risque de s’effondrer, le principe de compétition et concurrence entre les entreprises n’est plus viable. Il s’agit désormais de créer des relations réciproques et co-évolutives, encore une fois calquées sur le fonctionnement du vivant, pour assurer la régénération de nos territoires.  

Loin de l’imaginaire du vivant comme un terrain de lutte caractérisé par la “loi du plus fort”, il est en fait un véritable terrain de coopération et le résultat de symbioses formidables. Comme le montrent Pablo Servigne et Gauthier Chapelle dans L’Entraide, l’autre loi de la jungle, nous évoluons dans un système basé sur cet imaginaire selon lequel la compétition est la nature profonde de l’Homme, qui n’agirait que selon ses propres intérêts (c’est le modèle de l’Homo economicus). Or, l’entraide et la coopération sont en fait profondément ancrées dans la nature humaine comme dans tous les écosystèmes qui nous entourent. C’est d’ailleurs les comportements prosociaux d’entraide qui ont tendance à s’amplifier au moment des crises. 

Il est donc temps de reformuler nos imaginaires et d’intégrer dans le modèle des entreprises la coopération avec l’ensemble des acteur.rice.s de l’environnement dans lequel elles s’inscrivent et s’implantent. Dans un monde en dette écologique et en pénurie de ressources, les entreprises doivent créer des relations coopératives avec des partenaires nombreux et diversifiés, des “écosystèmes coopératifs”.  

Concrètement, d’un point de vue économique, la coopération permet : 

  • De créer une offre de service élargie, plus complète, permettant de valoriser et de monétiser auprès des client.e.s des services à plus forte valeur ajoutée et donc à plus forte marge.  
  • De partager certains coûts avec l’ensemble des partenaires du projet de coopération et ainsi de rendre plus supportable certaines dépenses incompressibles.  

Certaines entreprises commencent à mettre en place ce type d’initiatives de coopération. On peut par exemple reprendre le cas de Décathlon, détaillé dans cet article, qui s’est alliée avec la plateforme de réservation de cours de surf Surfnow pour proposer une offre d’abonnement aux jeunes surfeur.euse.s incluant la location d’une planche de surf, du contenu et des conseils de sécurité et un cours de surf offert à réserver sur la plateforme. 

Ce partenariat met en place un écosystème coopératif où tout le monde est gagnant : 

  • Décathlon passe d’un modèle linéaire à un modèle serviciel de location et gagne plus d’argent en louant ses planches de surf plutôt qu’en les vendant et peut partager une partie de la valeur créée avec ses partenaires.
  • Les clubs de surf touchent une nouvelle clientèle, plus locale, et voient leur volume d’affaires croître.
  • Les pratiquant.e.s améliorent leur plaisir à faire du surf et leur santé. Les débutant.e.s accèdent plus facilement à la pratique de ce sport et sont accompagné.e.s.
  • L’accompagnement à la pratique du surf que propose la plateforme Surfnow est valorisé. 
  • Principe n°14 : chercher de nouvelles opportunités produites dans les frontières de ses (éco)systèmes 

Ces écosystèmes coopératifs permettront aux entreprises de s’ouvrir à de nouvelles solutions au fur et à mesure qu’ils s’élargissent à de nouveaux acteurs d’autres secteurs d’activité, ou à d’autres typologies d’acteurs (collectivités, associations, ONG…). Ces autres types d’acteurs peuvent être une vraie source d’innovation et d’inspiration pour le monde économique. 

  • Principe n°15 : améliorer la santé physique, émotionnelle et sociale des parties prenantes de l’entreprise 

L’entreprise doit chercher à cultiver la santé sous toutes ses formes et chez toutes ses parties prenantes : les collaborateur.rice.s, les client.e.s, les communautés locales autour des sites de l’entreprise. Avoir des parties prenantes épanouies renforce largement la résilience de l’entreprise, sa productivité et sa robustesse. 

  • Principe n°16 : donner une voix aux parties prenantes de l’entreprise et les intégrer dans les processus de prise de décision 

L’entreprise doit chercher localement plutôt que de manière générique les opportunités sur lesquelles elle peut s’appuyer et les solutions qu’elle peut faire émerger. Cela suppose une interaction systématique avec les parties prenantes et les autres acteur.rice.s locaux.ales. Les gouvernances des entreprises doivent faire la part belle aux personnes situées au plus près du terrain. Mettre en place ce principe permettra aux parties prenantes de mieux comprendre l’action de l’entreprise et son rôle dans cet ensemble, ce qui peut renforcer le sentiment d’appartenance et libérer la créativité. 

  • Principe n°17 : initier le renforcement de l’émancipation et des capacitations des parties prenantes de l’entreprise, en particulier des capacités adaptatives et d’apprentissage 

L’entreprise doit s’engager dans le développement des capabilités de ses parties prenantes. Il est question de les accompagner à développer leurs propres capacités, en portant une attention plus particulière aux personnes les plus vulnérables et qui opèrent dans des contextes particulièrement vulnérables. 

Capabilité : 

Capacité d’une personne à convertir ses ressources en libertés réelles pour qu’elle puisse mener la vie qu’elle a choisi de mener. 

    Ces principes sont plus ou moins généraux et tous ne peuvent pas forcément être appliqués de la même manière par toutes les entreprises de tous secteurs. Par exemple, le principe n°11 relatif aux molécules bio-assimilables ne s’appliquent pas directement aux entreprises vendant des services et qui, par définition, ne produisent rien elle-même. En revanche, toutes les entreprises peuvent faire en sorte de s’assurer que toutes les matières présentes et utilisées tout au long de leurs chaînes de valeur sont faites à partir de molécules bio-assimilables. 

    En conclusion, nous invitons toutes les entreprises à s’inscrire dans cette démarche car elle a un intérêt environnemental, social et économique. Elle est créatrice de valeur (et pas que financière) pour tout le monde et nécessaire pour préserver la richesse de notre Société et des écosystèmes, en ayant pour objectif la régénération du vivant et comme outil central la coopération territoriale. 

    eNVIE D’EN SAVOIR PLUS SUR L’économie régénératrice et ses modèles économiques ?

    On le sait, face aux nouveaux enjeux sociaux, environnementaux et économiques, nos modèles d’affaires “linéaires” (extraire, produire, consommer, jeter) ne sont plus viables et nous devons nous diriger vers de nouveaux modèles circulaires, sobres, régénératifs et donc durables 🌱  

    C’est pourquoi le Groupe RIVE NEUVE lance Régénérons !, un vaste programme de formation-action fédérant les acteur.rice.s de notre territoire pour qu’émerge une multitude de solutions régénératives. 

    Notre ambition : 

    👉🏻 adresser 10 grands enjeux sociétaux 

    👉🏻 fédérer 30 à 50 entreprises clés du territoire pour 50 défis 

    👉🏻 former 1500 acteur.rice.s 

    👉🏻 faire émerger 100 projets de coopération 

    👉🏻 pour lancer 100 solutions régénératives