Nous faisons face aujourd’hui à une crise écologique et sociale qui s’illustre par le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité et l’augmentation des inégalités. D’après la Théorie du Donut développée par Kate Raworth, nous avons déjà dépassé 6 des 9 limites planétaires, ce qui compromet notre survie et la survie de notre planète.
Tout le monde s’accorde pour dire que l’activité humaine est responsable de cette situation, mais certains ciblent des causes plus précises : l’idéologie capitaliste dans laquelle nous évoluons depuis la Révolution industrielle, ou encore le modèle économique des entreprises.
Pour éviter la catastrophe climatique, sociale et économique qui se profile, nous sommes convaincu.e.s, chez Groupe Rive Neuve, qu’il est urgent de démocratiser de nouveaux modèles économiques durables et régénératifs. Des modèles permettant non seulement de réduire les impacts négatifs mais aussi d’augmenter les impacts positifs des acteurs économiques sur l’environnement et notre Société et ainsi assurer la préservation et la régénération des écosystèmes vivants humains et non-humains dont nous dépendons tous.
Ces modèles sont aussi bénéfiques pour l’entreprise elle-même car la démarche régénérative est génératrice de valeur. L’entreprise régénérative :
- Devient plus attractive pour les jeunes talents et pour ses collaborateur.rice.s,
- Répond aux attentes de client.e.s qui valorisent de plus en plus les entreprises prenant en compte dans leurs modèles d’affaires, sans faire de greenwashing, les enjeux environnementaux et sociaux,
- Anticipe la réglementation, qui est destinée à devenir de plus en plus dure en matière d’engagement sociétal des entreprises,
- Devient résiliente face aux difficultés grandissantes d’approvisionnement en réduisant sa dépendance à l’énergie fossile, aux matières premières et composants qui se raréfient et dont les coûts augmentent.
Anthropocène, Capitalocène ou Entrepocène ?
L’activité humaine serait responsable d’un passage de l’ère géologique de l’Holocène, qui s’étend sur les 12 000 dernières années, à celle de l’Anthropocène, concept créé en 2000 par le biologiste Eugene Stoermer et le Prix Nobel de chimie Paul Josef Crutzen. L’Homme serait devenu la principale force de changement sur Terre.
Mais d’après Andreas Malm (“Capitalocène”) ou encore Jean-Maxence Granier (“Entreprocène”), désigner toute l’humanité comme responsable de cette réalité n’est pas juste car l’humanité dans son ensemble n’est pas par nature destructrice. L’un désigne donc comme responsable le capitalisme (“la production de valeur d’échange et la maximisation des profits au moyen de l’énergie fossile”) et l’autre les entreprises et leur modèle économique.
Le modèle d’affaires régénératif serait donc la solution à tous nos maux… Mais, une fois qu’on a dit ça, qu’est-ce qu’on fait ? Comment pouvons-nous l’appliquer ?
Le modèle régénératif implique de considérer que la préservation et la régénération du Vivant fait partie des responsabilités sociétales de l’entreprise. Il implique donc de faire évoluer le modèle d’affaires des entreprises afin d’intégrer cette dimension vitale. Il impose également d’adopter une vision systémique des enjeux et de mettre en place des écosystèmes coopératifs avec toutes les parties prenantes de l’entreprise. On ne peut donc pas vous donner une simple checklist de choses à faire pour devenir une entreprise régénérative, c’est un peu plus compliqué… Mais vous trouverez ici de quoi mieux comprendre ce concept et comment vous pourriez diriger votre entreprise vers cet idéal.
La Responsabilité Sociétale de l’Entreprise ne suffit plus
Vous l’aurez compris, la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), telle qu’on la pratique aujourd’hui, ne suffit plus. Les entreprises sont de plus en plus contraintes à respecter des obligations, qui leur imposent de réduire les impacts négatifs de leurs activités. Un progrès, certes, mais trop lent étant donnée l’importance et l’urgence des enjeux.
En effet, il ne s’agit plus juste de réduire les impacts négatifs des activités des entreprises, mais de faire en sorte d’avoir des impacts positifs importants et de, à terme, contribuer à la régénération des territoires et des écosystèmes dont notre survie et celle de nos entreprises dépend.
C’est un enjeu vital pour les entreprises puisqu’elles ne pourront plus continuer à fonctionner dans l’environnement écologique et social hostile et de moins en moins viable vers lequel nous nous dirigeons.
Il faut donc adopter une approche systémique plus volontariste et poussée. Pour illustrer, reprenons par exemple le cas d’une entreprise de bateaux-mouches sur la Seine décrit dans l’article “Qu’est-ce que l’entreprise régénérative” coécrit par Lumia et Cultures Permanentes :
Si nous considérons cette entreprise comme simplement une entreprise proposant des croisières aux touristes, la marge de manœuvre pour penser sa transformation écologique et sociale profonde est trop étroite : elle se lancera seulement dans une démarche RSE de réduction de ses impacts négatifs. Cette démarche consistera certainement en l’électrification de son parc de bateaux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre mais il n’y aura pas de réelle transformation, sa raison d’être demeurera de proposer des croisières aux touristes.
Pour devenir entreprise régénérative, il faudra enclencher une transformation bien plus profonde et adopter une vision bien plus large de son activité et de son rôle sociétal :
- Elle devra se projeter comme une entreprise de services aux riverains et aux entreprises parisiennes ;
- Elle devra poser comme intention de contribuer à régénérer l’écosystème fluvial de la Seine tout en produisant des impacts positifs nets sur son territoire ;
- Elle devra élargir ses moyens d’actions et ainsi esquisser les contours d’un nouveau modèle économique.
On comprend donc que l’ambition est ici bien plus poussée que celle de la RSE. Bien sûr, l’application de ce modèle dépend de chaque entreprise, c’est à chacune d’elles d’expérimenter pour s’en rapprocher.
Qu’est-ce qu’une entreprise régénérative ?
Que signifie la régénération pour les entreprises ?
Pour les entreprises, régénérer signifie remettre la vie et le vivant, humain et non-humain, au cœur de chaque action et chaque décision, et donc au cœur des feuilles de route stratégiques. C’est essentiel face à l’urgence de la situation écologique et sociale dans laquelle nous nous trouvons.
Régénération :
Action de reconstituer (un tissu vivant), de renouveler en redonnant les qualités perdues.
Mais c’est aussi hautement stratégique pour les entreprises, qui doivent comprendre qu’une population en bonne santé, qui se sent en sécurité et qui a confiance en l’avenir, sur un territoire dont les écosystèmes (humains ou non) sont de plus en plus capables de se régénérer et d’être résilients face aux changements à venir, c’est la possibilité pour elles de trouver des client.e.s, des fournisseur.euse.s et de coopérer avec les acteur.rice.s dont elles ont besoin.
La coopération inhérente au modèle régénératif permet de créer des synergies fortement génératrices de valeur. Elle entraîne des gains d’efficience et permet donc de réduire les coûts et la dépendance de l’entreprise aux éléments extérieurs, grâce notamment à l’économie circulaire. Par ailleurs, le modèle économique régénératif permet de valoriser des bénéfices immatériels puisqu’on ne se focalise plus sur le produit simple mais on s’intéresse à son usage et au besoin réel du client ou de la cliente.
Les principes de l’entreprises régénérative
Pour y voir plus clair sur ce concept en plein essor et encore en train d’être défini, Christophe Sempels et Bertrand Thuillier ont, dans leur article “Qu’est-ce qu’une entreprise régénérative ?”, énoncé les principes qu’une entreprise régénérative doit respecter.
Ils en ont identifié 17, répartis en 3 macro-principes, que nous avons détaillés dans l’article suivant : Les 17 principes de l’entreprise régénérative expliqués.
Les enjeux ne sont pas les mêmes pour toutes les entreprises
Lorsqu’on parle d’entreprise régénérative, ou régénératrice, il y a une différence fondamentale entre les entreprises qui opèrent leurs activités en lien étroit avec le vivant comme les entreprises de l’agriculture ou de la santé, et les autres. Ce ne sont pas les mêmes enjeux. Pour les premières, il s’agit de faire évoluer leurs systèmes de production et leurs pratiques vers le régénératif. Pour les secondes, les défis sont plus nombreux :
- Se reconnecter au vivant via leurs infrastructures (réintégrer la nature dans leurs infrastructures), processus (substituer à certains processus physico-chimiques des processus biochimiques) et sourcing (repenser la chaîne d’approvisionnement et la chaine logistique).
- Mener des innovations biotechnologiques ou biomimétiques en matière de conception afin de développer des solutions bio-assimilables.
- Venir en support à l’adoption de pratiques/usages régénératifs chez les client.e.s. Ce défi concerne notamment les entreprises du secteur des services.
- S’inscrire dans un écosystème coopératif à visée régénérative. Une entreprise, comme expliqué tout au long de l’article, ne peut être régénérative sur son périmètre propre seulement. Toutes les entreprises peuvent devenir circulaires et s’appuyer sur le biomimétisme dans la conception de leurs produits, mais elles ne peuvent être complètement régénératives tant qu’elles ne feront pas partie d’un écosystème coopératif lui-même à visée régénérative : un écosystème réunissant les acteurs et actrices, à l’échelle locale et intégrant des acteur.rice.s dont l’activité est directement reliée au vivant. Via la coopération, cet écosystème crée les conditions nécessaires au développement du vivant et renforce son impact positif environnemental et social.
Des exemples d’entreprises dirigées vers la régénération
La régénération ne pouvant qu’être systémique et coopérative, des exemples d’entreprises complètement régénératives, dans un système et un modèle économique global évoluant encore largement dans le “business as usual”, sont difficiles à trouver. Toutefois, il existe de plus en plus d’entreprises qui se dirigent avec un engagement fort et radical vers un modèle régénératif. En voici deux exemples.
Riversimple : vendre la mobilité comme service et non des voitures comme produits
Riversimple est une petite marque galloise d’automobiles. Elle vend un service complet et transparent en termes de coûts de voitures à hydrogène abordables et écologiques. L’entreprise a levé 24 millions d’euros qui lui ont permis de développer 4 générations de véhicules.
Elle a refusé de se financer grâce aux fonds de capital risque (ceux qui financent les startups par prise de participations au capital des sociétés) car il aurait été impossible d’aligner les intérêts de Riversimple, qui travaille sur le long terme, et ceux de fonds qui exigent un retour d’investissement sur 5 ans. Riversimple ambitionne donc de construire un nouveau modèle à contre-courant du modèle classique de l’industrie automobile.
La principale nouveauté que Riversimple apporte est celle de vendre un service de mobilité plutôt que de vendre des voitures : c’est un modèle de propriété circulaire qui apporte des revenus sur le long terme et permet de valoriser les composants en fin de vie. Les voitures produites par Riversimple durent donc plus longtemps, utilisent moins de ressources et optimisent la récupération en fin de vie du véhicule. Riversimple a même commencé à mettre en place ce modèle serviciel au sein de sa chaîne d’approvisionnement.
Au niveau de la gouvernance de l’entreprise, elle se base sur les principes inspirés de la démocratie : elle permet de ne pas avoir la concentration des pouvoirs dans les mains d’un conseil unitaire avec un Directeur ou une Directrice général.e ou un.e actionnaire majoritaire.
Les émissions directes des véhicules à hydrogène sont nulles, à l’exception des particules de freinage et des pneus, car ils fonctionnent comme une voiture électrique. Seule de la vapeur d’eau résulte de la réaction chimique. Et les voitures Riversimple sont particulièrement efficaces grâce à leur design et leur légèreté : elles n’utilisent qu’une fraction de l’hydrogène consommé en général par les autres voitures à hydrogène sur le marché et les émissions dues au freinage et aux pneus ont été réduites au maximum.
Riversimple a donc un impact nettement plus positif que le reste de l’industrie automobile. Le modèle de cette entreprise est basé sur les principes des modèles économiques de la fonctionnalité et de la coopération, ce qui constitue une première étape vers les modèles régénératifs. Ainsi Riversimple pourrait aller plus loin :
- En renforçant la coopération avec les acteurs économiques locaux : Riversimple est ancrée dans le territoire grâce à ses usines décentralisées de petite taille et proches des territoires de commercialisation. L’entreprise peut donc aider les autres acteurs locaux à déployer des solutions de mobilité décarbonée et ainsi contribuer plus largement à la réduction des impacts locaux de la mobilité urbaine et péri-urbaine.
- En contribuant à la réduction du nombre de kilomètres parcourus par des véhicules thermiques sur le territoire, et à terme, à la réduction du nombre d’automobiles sur le territoire en renforçant le taux d’usage de leurs véhicules mais aussi en mettant en place une offre de mobilités décarbonées “multimodale” alternative au “tout voiture”. Cela implique, dans un premier temps, d’accroître leur volume de production pour prendre des parts de marché aux véhicules thermiques neufs, puis de faire évoluer leur modèle d’affaires en renforçant encore le taux d’usage et non le nombre de véhicules pour finalement produire moins de véhicules. Grâce à une telle démarche il pourrait y avoir moins de véhicules thermiques dans un premier temps, et moins de véhicules en valeur absolue à terme. Qui dit moins de véhicules en circulation ou en stationnement, dit plus d’espaces libres pour… le vivant !
Décathlon : du modèle linéaire, au modèle serviciel, puis au modèle régénératif et de la coopération
En Belgique, Décathlon, entreprise française de grande distribution de sport et de loisir, est passé à un modèle serviciel : ils louent les équipements sportifs en proposant des contrats de courte, moyenne ou longue durée (des abonnements).
Ce modèle économique permet d’optimiser la durée de vie des équipements et de renforcer leurs taux d’usage. Il y a donc une captation de valeur via l’amortissement du matériel dans la durée et la vente de services à forte valeur ajoutée. Les impacts négatifs sont donc réduits sur l’ensemble des produits, mais il n’y a pas spécialement d’impacts positifs permettant la régénération des écosystèmes et des territoires. C’est pourquoi c’est un modèle serviciel et non un modèle régénératif.
Pour aller plus loin, Décathlon peut inscrire son activité dans un écosystème coopératif, comme l’entreprise commence à le faire en France avec la plateforme Surfnow. En effet Décathlon s’est allié avec cette plateforme de réservation de cours de surf pour proposer une offre d’abonnement aux jeunes surfeur.euse.s incluant la location d’une planche de surf, du contenu et des conseils de sécurité, et un cours de surf offert à réserver sur la plateforme.
Cette démarche crée un écosystème coopératif où tout le monde est gagnant :
- Les écoles de surf touchent une nouvelle clientèle, plus locale, et voient leur volume d’affaires croître.
- L’accompagnement à la pratique de surf encadrée via la plateforme Surfnow est valorisé.
- Décathlon passe d’un modèle linéaire à un modèle circulaire de location et gagne plus d’argent en louant les planches de surf plutôt qu’en les vendant. La valeur créée peut être partagée avec les clubs de surf et la plateforme Surfnow.
- Les débutant.e.s et pratiquant.e.s sont accompagné.e.s dans leur découverte ou pratique de ce sport et améliorent ainsi leur plaisir et leur santé. L’accès à la pratique de ce sport est facilité.
Pour inscrire davantage ce modèle serviciel et de coopération dans la démarche régénérative et l’appliquer à notre territoire marseillais, on pourrait par exemple imaginer un écosystème coopératif plus élargi qui réunirait une enseigne de distribution d’équipements de sport comme Décathlon, des clubs, des associations de protection de l’environnement et un parc naturel tel que celui des Calanques. Les débutant.e.s comme les adeptes des sports pratiqués dans la zone pourraient prendre un abonnement permettant d’accéder aux équipements sportifs mais aussi aux différents services de l’écosystème, de mieux maîtriser leur sport et ainsi d’améliorer leur santé ou encore de rendre leur pratique respectueuse de l’environnement.
Les gains liés d’une part à l’accroissement du taux d’usage des équipements et d’autre part à la préservation du matériel dans une pratique encadrée par des professionnel.le.s pourraient être partagés équitablement entre les parties prenantes et assurer la robustesse du modèle. À ces gains pourraient aussi s’ajouter des profits liés au bénéfices immatériels nouvellement perçus par les pratiquant.e.s.
Finalement, les impacts positifs générés seraient ainsi élargis à l’environnement et dirigés vers la régénération des écosystèmes.
Ressources :
– L’article de Maddyness sur Décathlon et Surfnow.
– L’article de Lumia et Cultures Permanentes.
– L’article de Christophe Sempels et Bertrand Thuillier.
– L’étude de Prophil sur l’entreprise et la post-croissance.
eNVIE D’EN SAVOIR PLUS SUR L’économie régénératrice et ses modèles économiques ?
On le sait, face aux nouveaux enjeux sociaux, environnementaux et économiques, nos modèles d’affaires “linéaires” (extraire, produire, consommer, jeter) ne sont plus viables et nous devons nous diriger vers de nouveaux modèles circulaires, sobres, régénératifs et donc durables 🌱
C’est pourquoi le Groupe RIVE NEUVE lance Régénérons !, un vaste programme de formation-action fédérant les acteur.rice.s de notre territoire pour qu’émerge une multitude de solutions régénératives.
Notre ambition :
👉🏻 adresser 10 grands enjeux sociétaux
👉🏻 fédérer 30 à 50 entreprises clés du territoire pour 50 défis
👉🏻 former 1500 acteur.rice.s
👉🏻 faire émerger 100 projets de coopération
👉🏻 pour lancer 100 solutions régénératives