Les dérèglements environnementaux et sociaux que vivent nos sociétés deviennent de plus en plus importants. Les entreprises ont un rôle essentiel pour accélérer la transition écologique de nos sociétés via la gestion de leur impact. Loin d’être une nouvelle mode ou une notion vide de sens, l’impact est en réalité une évolution de la finance, qui n’est plus adaptée aux enjeux actuels.
Dès lors, comment adapter la finance à notre monde actuel ?
Finance et impact, même combat
À première vue, tout oppose finance et impact.
Deux mondes, deux idéologies antagonistes : le directeur financier obnubilé par les chiffres en costume cravate contre le militant idéaliste chevelu. Les requins capitalistes contre les altermondialistes. L’élite contre le peuple, etc.
Un « zadiste » face à un gendarme anti-émeute
Source : AFP
Cette tendance est claire dans la grande majorité des organisations,qui traitent finance et impact en silo. Cette situation est logique, tant les facteurs à l’œuvre sont nombreux :
- La loi : DPEF (France) et CSRD (Union Européenne) sont des législations qui imposent des rapports extra-financiers distincts des états financiers ;
- Les organisations : la finance c’est le directeur financier ou l’expert-comptable, l’impact c’est le directeur RSE ou le consultant RSE/impact ;
- Les processus : les outils d’aide à la décision d’investissement sont tous construits sur un ROI financier, la notion d’impact est au mieux un bonus ou inexistant ; et
- L’éducation : les nombreux cursus en finance d’un côté, les quelques formations en développement durable ou entrepreneuriat social de l’autre.
Pourtant, finance et impact sont en réalité la même chose.
Les deux disciplines cherchent en effet à donner une représentation fidèle de la performance d’une organisation. Seulement, pour la finance, la performance d’une entreprise ne se juge qu’à l’aune de l’argent créé, tandis que pour l’impact, la valeur sociétale créée prévaut (ce qui englobe aussi la valeur actionnariale).
La gestion d’impact est ainsi plus inclusive que la seule gestion financière pour mesurer la performance organisationnelle.
En tant que cabinet de conseil en gestion d’impact, JPLP aide les entreprises à identifier, mesurer et optimiser leur impact. Nous passons nos journées à décortiquer l’impact de nos clients et à faire émerger des modèles d’affaires cohérents. Notre travail nous a ainsi amenés à beaucoup réfléchir sur la compréhension de l’impact et sur son articulation avec la finance.
La finance n’est plus adaptée
La vision du monde de nos sociétés humaines civilisées a complètement basculé depuis quelques années.
Les limites physiques de notre planète nous apparaissent dorénavant au grand jour. Le dérèglement climatique et l’extinction massive des espèces en sont les illustrations les plus vives.
Évacuation d’un village grec suite aux feux qui ravagent le pays
source : La voix du Nord
Dans un monde sans limite, une bonne jauge de performance est de mesurer la quantité de biens et services fournis à la population. La valeur financière de ces mêmes biens et services est alors une approximation efficace de la performance. Il est dès lors logique que le produit intérieur brut devienne synonyme de développement humain pour un pays, et que le chiffre d’affaires ou le résultat d’exploitation soient les premiers chiffres mis en avant pour juger la qualité d’une entreprise.
Dans un monde limité, tout change. La performance ne peut plus être une quantité sans cesse croissante de biens et services à fournir. Cela devient physiquement impossible. En faisant fi des limites planétaires, la finance maximise ainsi une « performance » qui menace en réalité la survie de nos sociétés. Cette vision n’est plus la bonne pour nous aider à traverser les crises actuelles et futures. Nous devons changer de paradigme.
Apparaît alors l’impact. Seulement, nous avons un premier problème : de quoi s’agit-il au juste ?
L’impact, tout le monde en parle mais personne ne le comprend
Commençons par ce qui fâche. L’impact, comme quelques autres termes utilisés dans les entreprises (coucou stratégie et marketing) est devenu un mot valise dont la définition est floue, voir franchement incohérente (nous aurons le plaisir de vous en parler dans un prochain article).
Source : dilbert.com
Faisons un petit retour en arrière.
L’impact est fille de l’économie sociale et solidaire (ESS) : un courant économique qui conjugue finalité sociétale et bonnes pratiques de gestion. Contrairement au modèle devenu standard pour qui l’entreprise n’existe que pour créer de la valeur actionnariale, l’ESS considère que la raison d’être des entreprises est de créer de la valeur pour la société.
Mais si la performance d’un chef d’entreprise « classique » se mesure à l’aune de ses résultats financiers, quid de ces sociétés sociales et solidaires ? Ici apparaît donc l’impact, soit la performance des entreprises à créer de la valeur sociétale.
Pour le dire autrement, l’impact c’est la capacité d’une organisation à transformer le monde. Cette transformation peut être positive ou négative, tout dépend de ce que l’on regarde. Une entreprise qui collecte les déchets en bateaux transforme positivement le monde : elle supprime une pollution. Néanmoins, cette entreprise a aussi des impacts négatifs : émissions de gaz à effet de serre de son parc de bateau, perturbation des écosystèmes marins à cause des filets de collecte, etc. [Spoiler : toutes les activités humaines ont des impacts négatifs, certaines sont juste plus efficaces que d’autres].
Le bateau collecteur de déchets de Plastic Odyssey
La gestion de l’impact d’une entreprise c’est donc la gestion des changements que cette entreprise provoquent. La mesure d’impact d’une entreprise, c’est la mesure des changements induits : il s’agit donc toujours d’une comparaison entre un avant et un après.
Nous avons maintenant une idée un peu plus claire de ce qu’est l’impact. Vient alors le deuxième problème : pourquoi les entreprises ne gèrent-elles pas leur impact au même niveau que leurs finances ?
L’impact est une discipline immature
Continuons notre exercice de comparaison entre finance et impact.
La finance se fonde sur deux disciplines « historiques » que sont la comptabilité et le contrôle de gestion. Elles sont structurées par (i) des normes précises, (ii) des accréditations professionnelles, et (iii) une fonction finance/comptabilité interne dans quasiment toutes les entreprises d’une certaine taille.
L’impact, c’est tout le contraire. Aucune norme n’a encore émergé, aucune accréditation précise n’existe, et la fonction interne de l’impact dans les entreprises est confidentielle. Lorsqu’elle existe, la gestion d’impact est souvent du ressort de la direction RSE et très rarement de la direction financière.
Pire encore, la notion d’impact ne fait pas consensus au sein de la communauté des praticiens (cf. partie précédente). Ces définitions contradictoires embrouillent les entreprises et les empêchent de mettre en place un processus de gestion d’impact ambitieux et efficace.
L’impact est donc une discipline immature, dont le développement reste encore circonscrit aux cercles académiques et professionnels spécialisés.
Nous voilà à présent dans de beaux draps. Nous savons que la finance n’est plus adaptée aux enjeux de notre époque, que lui substituer l’impact est une des solutions, mais que celle-ci n’est pas encore prête pour lui succéder.
Alors maintenant, que faisons-nous ? Notre vision est que la gestion d’impact va rapidement gagner en maturité via sa transformation effective en « finance du futur ».
L’impact va se démocratiser… parce qu’on va l’appeler finance (intégrée)
Nous l’avons vu, l’impact est la finance ont la même finalité : mesurer la performance de nos organisations. En ce sens, elles sont identiques.
Nous avons vu aussi que les deux disciplines ont des maturités intrinsèques très différentes.
Nous pensons ainsi que la meilleure manière de faire progresser l’impact rapidement afin qu’il se substitue à la finance est donc bien de la transformer en « nouvelle finance » via un changement important d’un de ses piliers : la comptabilité.
Dans un monde où les capitaux à gérer ne sont plus seulement de « l’argent » et englobent les capitaux environnementaux (les limites planétaires) et les capitaux sociaux (le bien-être humain), la comptabilité doit prendre en compte l’ensemble de ces capitaux. On parle alors de comptabilité « intégrée » ou «multi-capitale ».
Cette nouvelle comptabilité fait essentiellement deux choses. D’abord, elle permet la prise en compte rigoureuse des enjeux sociaux et environnementaux. Ensuite, la comptabilité intégrée continue d’exprimer les capitaux en unités monétaires. C’est une caractéristique fondamentale car en continuant de manier des €, des $ ou des ¥, les entreprises peuvent prendre en compte instantanément les enjeux sociaux et environnementaux, aux côtés des considérations financières classiques. C’est véritablement le vecteur d’accélération de l’impact le plus important qui soit.
Un signal fort que la comptabilité intégrée est un enjeu d’avenir est que l’Impact Management Project, l’association la plus importante des acteurs publics et institutionnels de l’impact considère l’intégration de l’impact et de la finance comme la nouvelle frontière.
De nombreuses méthodes de comptabilité intégrée comme CARE, LIFTS, WIA, ou l’EP&L ont connu un développement rapide ces dernières années. Ces méthodes diffèrent par les capitaux à considérer ou la méthode de valorisation monétaire, mais elles considèrent toutes que les capitaux extra-financiers sont aussi importants que le capital argent et utilisent toutes l’unité de compte monétaire.
L’équipe de la chaire performance globale multi-capitaux de l’école de commerce Audencia
Source : Audencia
Enfin, on peut aussi considérer la finance intégrée comme l’aboutissement de l’intégration des critères extra-financiers dans le reporting des entreprises. À ce titre, le reporting extra-financier est devenu un sujet géopolitique majeur entre le monde anglo-saxon et l’Union Européenne. En mars 2021, la fondation IFRS —responsable des normes comptables de référence IFRS et basée aux Etats-Unis— annonce la création d’un groupe de travail sur le développement durable rassemblant l’ensemble des acteurs anglo-saxons du reporting extra-financier (FSB, CDP, CDSB, GRI, IIRC et SASB). En Europe, la Commission européenne a constitué l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) pour poser les bases d’un reporting extra-financier européen.
L’impact a ainsi de grandes chances de devenir la finance de demain. Les nouvelles méthodes comptables, normes de reporting extra-financier et législations pointent toutes en ce sens.
Conclusion
La majorité des organisations considèrent la gestion financière et la gestion d’impact comme deux disciplines distinctes. La finance est ancienne, bien connue et indispensable, tandis que l’impact est récent, pas très clair et accessoire à la bonne gestion d’entreprise.
C’est une vision statique, qui n’existera plus dans quelques années. De nombreux signaux nous montrent à quel point la gestion d’impact est la finance de demain au travers de l’intégration forte des capitaux environnementaux, sociaux et financiers.
La gestion d’impact porte en elle un changement de paradigme important et donc une transformation profonde des modèles d’affaires des entreprises ; elle est de ce point de vue une tendance similaire à l’émergence des nouvelles technologies. Comme le dit Marie Ekeland, fondatrice du fonds de gestion 2050 et figure de la French Tech :
« Les nouvelles technologies ne sont pas un nouveau secteur industriel, mais une transformation complète de l’économie. »
En devenant la nouvelle finance, l’impact est destiné à transformer toute l’économie.
Chez JPLP, nous portons une opinion tranchée sur la nécessité de la gestion de l’impact pour les entreprises et de son futur comme « nouvelle finance ». Pensez-vous que l’impact a une utilité ? Pensez-vous que la comptabilité intégrée a une chance de devenir un standard dans les années qui arrivent ? N’hésitez pas à échanger en commentaire ou en message privé 🙂
Cet article est le premier de la série En route vers l’impact ! Si vous êtes intéressés, ne manquez pas notre prochain article L’impact, ce bel inconnu. A bientôt !