Caroline Drevon (Brainergies) : « Réussir sa transition énergétique est créateur de valeur et de compétences »

• Vous travaillez sur la transition énergétique depuis presque 20 ans, quel regard portez-vous sur la situation actuelle ? 

 Depuis 2 ans, nous sentons que les lignes bougent et que le sujet intéresse de plus en plus. C’est vrai que depuis quelques mois, il y a un coup d’accélérateur énorme. La succession de crises que nous traversons nous rappelle, parfois douloureusement, que nous vivons dans un monde aux ressources finies. Je pense que nous ne pourrons plus revenir en arrière. Les crises vont continuer et la pression sur les citoyens et sur les acteurs économiques va s’accentuer. Désormais, les entreprises ne vont plus avoir d’autre choix que de s’emparer du sujet.  

• Pour une entreprise, quels sont les enjeux d’une stratégie bas carbone ? 

 Les enjeux sont multiples. Dans un premier temps, c’est la réduction de la facture énergétique, avec souvent en prime des bénéfices à plus ou moins long terme sur la performance globale. Pour donner un exemple, améliorer la performance énergétique de ses bâtiments pour une entreprise propriétaire de ses murs est aussi un moyen de valoriser son patrimoine immobilier.  

 L’autre enjeu est réglementaire, avec des normes environnementales de plus en plus exigeantes, notamment au niveau européen. C’est aussi  un véritable levier de différenciation commerciale en réponse aux besoins des clients, des donneurs d’ordre et des fonds d’investissement, de plus en plus sensibles à ces problématiques. Enfin, cela booste l’attractivité de la marque employeur et donne du sens et de la motivation aux équipes.  

• Concrètement, comment agir pour déployer une stratégie bas carbone dans son entreprise ?

Il faut distinguer deux volets. Le premier, le plus facile à appréhender est celui de l’efficacité et de l’efficience énergétique. Pour résumer, cela consiste à éliminer les consommations inutiles ou plus simplement dit, le « gâchis » pour se recaler sur le « juste besoin ». Pour cela, nous embarquons les collaborateurs et leur management dans des « gembas énergie » de véritables explorations de terrain qui leur permettent de revisiter leurs pratiques. Ce sont eux qui débusquent de véritables pépites : des équipements de froid en plein soleil, des machines alimentées jour et nuit alors qu’elles sont utilisées trois fois dans la semaine…   

 Le second volet, c’est celui de la sobriété, qui consiste à faire autant voire plus avec beaucoup moins.  

Cela amène à travailler dans une logique de type « Énergie Base Zéro »… à avoir une autre approche, à questionner en profondeur son organisation en intégrant tous les aspects (clients, fournisseurs, transports…). Dans les entreprises, beaucoup de choses sont faites de manière automatique, par réflexe ou habitude. Une des entreprises que nous conseillons livrait deux fois par jour ses clients. En prenant du recul, elle s’est rendu compte qu’une seule livraison pouvait suffire. À une autre échelle, Toyota exploite l’énergie de la gravité pour alimenter ses chaînes de production sans apport énergétique extérieur. Une technique déjà utilisée au 19e siècle pour faire fonctionner des automates ! 

 L’autre piste très intéressante, c’est la symbiose territoriale, ou comment optimiser les consommations d’énergies en mutualisant les ressources au niveau du territoire : utiliser la chaleur d’un four industriel pour chauffer la piscine municipale, valoriser les déchets pour alimenter des logements…

Il y a de véritables opportunités à déployer dans ces échanges entre acteurs d’un même écosystème territorial et déjà de très beaux exemples desquels s’inspirer. 

• Vous parlez de sobriété, mais ne pensez-vous pas que les avancées technologiques pourraient apporter une réponse à tous ces enjeux ? 

C’est une des nombreuses idées reçues que nous combattons : la réponse ne sera pas uniquement technologique. Récemment, j’ai accompagné une entreprise de logistique. Pour réduire leur impact carbone, tous les responsables mettaient en avant le développement du carburant synthétique. Pourtant, il y a bien d’autres leviers à explorer, comme la mutualisation des flux inter-entreprises, l’optimisation des chargements, le report modal et ses bénéfices induits comme la réduction des surfaces de stockage… Autant de pistes prometteuses peu consommatrices de dépenses d’investissement,  qui nécessitent en revanche une changement complet d’approche.  

L’autre idée reçue, c’est de faire de la transition bas carbone une affaire d’experts qui se discuterait entre le directeur technique et le responsable RSE. Au contraire, il faut s’assurer que pour chaque acteur de l’entreprise (opérateurs dans les ateliers, acheteurs, CODIR, RH…), cet enjeu devienne un sujet central dans sa prise de décision.   

• Comment faire émerger cette prise de conscience collective ?  

 Il faut ancrer le sujet dans les rituels quotidiens, dans les processus de décision qu’ils soient opérationnels ou stratégiques et faire appel à la créativité de ses équipes pour trouver des solutions. Réussir sa transition énergétique, ce n’est pas que du sang et des larmes. C’est aussi un formidable défi à relever, créateur de valeur et de compétences.