La notion de Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) ne vous évoque rien ? Rassurez-vous c’est tout à fait normal puisque ce n’est qu’au cours de ces dernières années qu’elle a réellement été conceptualisée !

Ce thème sera mis à l’honneur à l’occasion d’une Table Ronde organisée le 18 mars 2024 dans le cadre des Lundis de la Transition. D’ici là, on vous dit tout dans cet article qui parcourt les grands principes et enjeux de la SSA.

1. Qu’est-ce que la Sécurité Sociale de l’Alimentation ?

La SSA est une initiative élaborée suite à une tribune conjointe d’Ingénieurs sans Frontières – Agriculture et Souveraineté Alimentaire (ISF-Agrista) avec le Réseau Civam, visant à garantir un accès universel à une alimentation saine et équilibrée.

Elle implique la distribution régulière d’une allocation monétaire universelle oscillant entre 100 et 150 euros par personne et par mois, permettant l’achat de produits alimentaires sains dans des commerces sélectionnés approvisionnés par des producteurs locaux.

Ainsi, une nouvelle branche apparaitrait au sein de la Sécurité Sociale : la branche Alimentation d’où la conceptualisation d’une carte vitale de l’alimentation par le collectif SSA. De ce fait, le fonctionnement de la SSA reposerait sur les cotisations sociales.

Crédits : Collectif Sécurité Sociale de l’Alimentation

Trois piliers sont présentés comme étant au coeur de la SSA :

L’universalité

La démocratie

Le financement par les cotisations sociales

2. Pourquoi la SSA s’immisce-t-elle de plus en plus au coeur du débat public ?

Selon Marco Locuratolo (coordinateur CIVAM) ayant lancé une expérimentation de caisse alimentaire à Montpellier, la SSA vise à « montrer un chemin possible » (Novethic).

En effet, la SSA investit le débat public car elle devrait rendre possible l’amélioration du bien-être des citoyens au regard des enjeux listés ci-dessous : 

Hausse de la précarité alimentaire en France

Le concept de la SSA investit de plus en plus le débat public en raison de la hausse du nombre d’individus sollicitant l’aide alimentaire définie selon l’article 266-6 du Code de l’action sociale et des familles comme ayant pour mission de fournir « des denrées alimentaires aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale ». En effet, selon LesEchos, une multiplication par trois a été constatée en une dizaine d’années du nombre d’individus ayant recours à l’aide alimentaire à la fin de l’année 2022. Ce phénomène de « paupérisation » d’un morceau de la population française (LesEchos) est alors particulièrement préoccupant.

Le droit à l’alimentation, affirmé dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, qui désigne selon Olivier De Schutter (rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, 2010) le « droit d’avoir un accès régulier, permanent et non restrictif, soit directement ou au moyen d’achats financiers, à une alimentation quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante, correspondant aux traditions culturelles du peuple auquel le consommateur appartient, et qui lui procure une vie physique et mentale, individuelle et collective, épanouissante et exempte de peur » est alors menacé en France. En outre, le droit à l’alimentation désigne le fait de pouvoir manger les produits de notre choix et ne consiste pas seulement au fait d’avoir accès à l’alimentation.

Le rapport publié par le Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de Vie (Crédoc) en mai 2023 (n°CMV329) montre que 16% des français souffraient de précarité alimentaire en novembre 2022 alors que ce chiffre était de 9% en avril 2016 selon cette même étude.

Ce pic du nombre d’individus dépendant de l’aide alimentaire s’explique notamment en raison de la forte inflation qui sévit en France depuis la fin de la crise sanitaire et en raison du déclenchement de la guerre en Ukraine. Notamment, le graphique ci-dessous permet de visualiser cette flambée des prix de l’alimentation depuis la fin de l’année 2021. Selon l’INSEE en juin 2023 la hausse des prix sur un an était égale à une augmentation de +13.7% amenant à un « véritable déclassement du nombre de (…) concitoyens face au coût de la vie » selon le Sénat qui a d’ailleurs voté en novembre 2023 30 millions d’euros supplémentaires réservés à l’aide alimentaire.

Crédits : Rapport du Crédoc, 2023

 

Cependant, ces personnes qui reçoivent de l’aide alimentaire n’ont pas accès à une alimentation qui est « durable » selon Dominique Paturel (Revue Sésame n°6, 2019). En effet, selon ISF Agrista (ibid), l’aide alimentaire fournit aux plus pauvres les « surplus des industries agro-alimentaires » et « les rebuts alimentaires des plus aisés » (ibid) et donc il ne s’agit pas nécessairement d’une alimentation qui est durable. Ce phénomène contribue à la hausse des inégalités entre les citoyens (ibid). Une « violence alimentaire » se met ainsi en oeuvre (Le Monde).

C’est pourquoi selon ISF Agrista, la SSA incarne le moyen de sortir de ces mécanismes et de permettre que chaque individu puisse se nourrir de manière saine et durable.

Crise agricole et volonté d’atteindre la souveraineté alimentaire  

La SSA permettrait également d’améliorer les conditions des agriculteurs du pays (Confédération paysanne, …) qui comme le mentionne le média Reporterre font face à de nombreuses difficultés (hausse d’individus au RSA, augmentation des suicides documentée avec le film Au nom de la terre de E. Bergeon…) renforcées au regard de la crise agricole actuelle (mécontentement lié au GreenDeal européen et à l’accord avec le Mercosur, baisse des subventions reçues… ).

De manière plus concrète, avec la SSA les agriculteurs devraient être moins exposés aux effets du libre-échange sur leur activité puisque les prix conventionnés devront refléter une rémunération plus juste de ces derniers. Un « prix minimum d’entrée » devrait être en vigueur selon la Confédération paysanne. Aussi, la SSA pourrait permettre une hausse du nombre d’emplois à pourvoir sur le territoire selon Greenpeace.

Si l’alimentation des français dépend des producteurs du territoire, alors cela permettrait de contribuer également à la souveraineté alimentaire du pays (ibid).

Urgence environnementale

Avec la SSA, la part de l’alimentation consommée provenant de l’industrie agro-alimentaire devrait baisser. La SSA pourrait permettre aux citoyens d’avoir accès à des produits plus respectueux de l’environnement (ne contenant pas de pesticides, économes en matière de consommation des ressources, disponibles localement ce qui limiterait la pollution associée à l’acheminent des marchandises, préservant la biodiversité…). Les alternatives locales seraient valorisées avec la SSA selon le média Reporterre au lieu que ce ne soit l’industrie agro-alimentaire qui continue de faire le plus de profit.

La SSA contribuera aussi à garantir l’accès à une alimentation durable au regard de la définition donnée dans le rapport Brundtland de 1987. En outre, l’accès à l’alimentation des générations futures ne doit pas être sacrifié au profit des générations actuelles selon les différents collectifs.

3. Modalités de fonctionnement de la SSA 

 

Le financement de la SSA

La SSA devrait fonctionner grâce au mécanisme des cotisations sociales, comme c’est le cas pour la Sécurité sociale classique. Le montant de ces cotisations serait établi en fonction des ressources de chacun. Ces cotisations prélevées seraient transmises à des caisses locales de conventionnement chargées de déterminer les produits qui seront conventionnés. Ces caisses devront être gérées de manière démocratique. Les individus seraient dotés d’une carte vitale de l’alimentation afin d’utiliser la somme reçue (oscillant entre 100 et 150 euros) chaque mois pour réaliser leurs achats alimentaires dans les commerces sélectionnés et approvisionnés par les agriculteurs locaux tout en respectant un cadre national et local (Reporterre).

 

Crédits : Confédération paysanne

 

La SSA comme avancée démocratique 

La SSA prévoit de reposer sur un fonctionnement démocratique avec les caisses locales de conventionnement mentionnées précédemment car les produits conventionnés seront choisis par les citoyens eux-mêmes. L’organisation de débats, de réunions d’information, (soit l’ « éducation populaire », Confédération paysanne) permettront d’implanter cette initiative locale. C’est ainsi que la SSA prévoit de mettre en place une véritable « démocratie alimentaire » selon ISF Agrista, qui est une définition établie par ATD Quart Monde, le Réseau Civam, le Programme de recherche Lascaux, et ISF Agrista.

 

4. Premiers succès et perspectives futures de déploiement 

Expérimentation de la SSA dans certaines villes françaises

Des initiatives pour mettre en oeuvre cette SSA au niveau local ont déjà été déployées dans plusieurs villes françaises telles que Montpellier, Bordeaux ou encore Toulouse.

En octobre 2023 à Bordeaux c’est l’association Crepaq qui a décidé de lancer son initiative en matière de SSA avec sa monnaie locale appelée la gemme. Les personnes ciblées par cette expérimentation étaient avant tout les étudiants. Ceux-ci avaient été choisis au hasard (grâce à un tirage au sort), et ils se sont vus être crédités de 100 euros par mois en gemme à utiliser dans les commerces sélectionnés au titre de cette expérimentation. En échange du versement de cette allocation, les participants devaient verser une cotisation en fonction de leurs moyens (10 euros par mois au minimum).

Au niveau de la ville de Montpellier, l’expérimentation en cours a permis en un an d’atteindre près de 400 usagers de la caisse alimentaire montpelliéraine et selon Grégori Akermann, sociologue à l’INRAE, cité par le média Novethic, le déploiement de cette initiative a permis aux commerces conventionnés d’enregistrer une hausse de leur activité économique en faisant référence à l’enseigne Biocoop.

Perspectives de développement

Ces initiatives ne cessent de se multiplier, démontrant l’engouement présent autour de cette question de la SSA. Particulièrement, la Ville de Paris a elle aussi annoncé qu’elle testerait ce mécanisme dès septembre 2024 suite au vote de cette proposition par le Conseil de Paris le 15 novembre 2023. Il sera testé auprès d’environ cent familles des 14e, 18e et 20e arrondissements ce qui pourrait amener un écho médiatique manifeste autour de la question de la SSA selon G. Akermann (ibid). À Marseille, la COMAC devrait également lancer une expérimentation de la SSA dès cette année, soulignant ainsi son engagement envers les enjeux essentiels associés à ce dispositif totalement novateur !

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